(Annapurna Mandala Trail 2010, compte-rendu de course réalisé au fil de l’eau sur mon Iphone)
J-1 et J0-12 et 13/04/10, Paris – Kathmandou – Arughat
Presque 24h de transit aérien, six heures de minibus sur des routes défoncées, et un pont suspendu à traverser pour arriver à Arughat, petit village perdu au fond des Himalaya…
Accueil du village avec distribution de fleurs, d’une écharpe de bienvenue et de fleurs, en échange nous organiserons une petite course pour les enfants cet après-midi. Cette première partie autour du Manaslu promet un Népal plus sauvage sur des chemins peu fréquentés par les touristes.
Début du Programme : 42km demain, puis 52km, marche d acclimations 18km au Manaslu Base Camp, 16km, puis 62km, dont un col a 5.200m d’altitude…
Aujourd’hui, repos, contrôle du sac (un peu moins de 6kg pour moi), et contrôle médical.
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J1-13/04/10, Arughat (alt 500m)- Dovhan (alt 1.200m), 42km, +1.200m
Départ du Temple, après une petite cérémonie comme à notre arrivée : remise d un petit foulard à chacun, et un petit point rouge a base de fleurs sur le front.
Etape variée, assez roulante au début avec de la piste, quelques montées d’escaliers bien raides, quelques descentes humides. Forte chaleur, mais avec beaucoup d’endroits plus frais a l’ombre de grands feuillus ou au bord de la rivière. Villages typiques aux petites guinguettes à coca-cola bien frais, et cinq ou six ponts suspendus aériens.
J’ai suivi le départ rapide des Népalais Djorbir et Deepak, mais allant un peu plus vite sur la piste j’ai fait l’écart. Deepak n’était pas loin jusqu’à la mi-course. J’ai couru à un rythme régulier sans jamais être dans le rouge et sans jamais trop relâcher, même si je ne voyais plus personne derrière. 4h03mn, Thierry Chambry arrive 23mn plus tard, les Népalais un peu plus d’un quart d’heure après.
Dhovan est un village à l’ancienne, avec quelques familles qui vivent d’une culture difficile de maïs dans des petits champs en étage le long de la Gandaki. Cela nous semble des siècles en arrière, mais je pense que la Haute-Corrèze de mes grands parents n’était pas si différente, et cela m’y fait toujours penser pour relativiser…
Le Lodge est pittoresque, chambres à l’étage par une échelle, directement sous le toit en lauze. Double sieste et double dal-bat (le plat local : riz et lentille), pour repartir demain a remonter la longue vallée qui s’achèvera au col a 5.200m âpres 4 jours bien chargés.
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J2 14/04/10, Dovhan – Namrung (alt 2.500m), 52km, +2.800m
Nous quittons Dhovan a 7h00 après un bon petit-déj de nos cuistots : galettes, omelette, et thé ou café. J’avale tout, la journée promet d être longue.
Départ prudent, je mène un petit trio avec Deepak et Djorbir. A un arrêt fontaine, les Népalais passent, et au bout de quelques kilomètres je rejoins Djorbir. Je décide de le suivre jusqu’au moins Filim, où la carte ne semble pas bien claire. Bonne idée, Djorbir me fait éviter pas mal d’hésitations sur des chemins pas évidents. Djorbir lâche, Deepak est devant, je pointe a 5mn, mais nous n’avons fait qu’à peine un tiers.
Il faut laisser glisser les kilomètres, en courant le plat et les descentes, et préserver les cuisses en montée. La gestion de l eau est importante, et j’ai trouvé le rythme, pour boire environ 600ml/h.
J’ai deux bidons, quand un est fini je le rempli d’eau que je laisse se désinfecter avec une demi-pastille pendant que je bois le deuxième.
Quand le deuxième est juste bu, il faut trouver un marchand de coca, et faire le plein des deux bidons en coupant le coca avec l’eau désinfectée. Le prix du coca s’élève doucement au fil des km, monté à dos de mule cela se comprend…
J’ai passé une agréable journée, sans lassitude, à suivre l’itinéraire sur la carte. L’étape était longue, et j’ai repris Deepak aux 2/3 du parcours, il avait l air sec. En tête et personne derrière, ça motive a garder le rythme et les hameaux s’enchainent comme les montées. Jusqu’ à l’hypo… Pas l’hypothermie, ça ne risquait pas vu la chaleur, mais l’hypoglycémie dans la dernière et interminable montée. J’avale ce qu’il me restait de miel (qui me fait office de gel), mais je reste « faible » et la tête qui tourne, ce qui ne m’empêche pas de marcher… D’un coup cela me revient, j’ai 10 bonbons au menthol acheté a Arughat (enfin 9, puisque j’en ai laissé un au gamin qui me les a vendu…) ! Ils sont avalés rapidement, et me permettent de finir… La grande majorité des coureurs aura été « short petrol » sur cette dernière bosse. Mais franchement, je ne pensais pas mettre 6h44mn… Thierry arrive 34mn derrière, et les Népalais bien plus tard vers la 6-7eme place.
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J3 15/04/10, Namrung – Samagaon (alt : 3.600m). 18km, +1.400m
Une étape « courte », c’est a dire 2h24mn d effort « seulement »… Nous avons couru à 3, avec Philippe Dauriac et Thierry Chambry, a remonter les plateaux jusque 3.500m d altitude. Je termine avec Philippe Dauriac qui s était échappé dans la dernière longue cote.
Nous avons quitté les traditions d influences hindoues pour les traditions d influences bouddhistes et tibétaines en arrivant à Lho : moulins à prières, monastères. Le Manaslu, ses glaciers et ses 8.100 mètres nous surplombent admirablement. L altitude et la fraicheur nous gagnent doucement. Demain, Camp de base du Manaslu, au pied de la montagne, à l altitude du Mont-Blanc… Dans deux jours nous en auront terminés de cette longue et reculée vallée pour basculer vers les Annapurnas… Une heure d avance c est beaucoup et peu à la fois, il faudra autant gérer la course que la blessure ou les éventuels problèmes d estomac. Avancer un peu plus chaque jour, manger, dormir, et découvrir…
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J4 16/04/10, Samagaon – Samdo (alt : 3.860m), et montée au Camp de base du Manaslu, 18km, +1.500m
Une journée tranquille, où nous sommes juste monté à l altitude du Mont-Blanc pour être au camp de base du Manaslu. Trois expéditions en attente d une bonne fenêtre pour ce 8.000.
Le temps de penser à toutes les améliorations de produits notées sur l Iphone…
Mais l AMT c est aussi le plaisir de partager une bière et un peu de viande boucanée avec Jorbir et Deepak comme ce soir dans la cuisine du lodge, avec peu de mots, mais un partage d expériences.
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J5 17/04/10, Samdo – col du Larke Pass (alt : 5.200m) – Bagharchat (alt : 2.060m) 60km, +2.400m -3.800m
Je sentais une journée de baroudeurs, ça n a pas manqué… Départ à 4h30 de Samdo, pour attaquer le Larke Pass, qui signifie le col « long ». La montée n’est pas chronométrée, je pars le dernier et je remonte tout le monde. Un peu moins de 4h pour ce long col de 20km, dont les trois quart à remonter le long d une moraine d un glacier gigantesque. Prés de 2h au dessus de 4.500m d altitude.
Personnellement aucun problème avec l altitude, pas de mal de tête, même si ça monte moins vite. Mais rien à voir avec les trois coureurs qui ont reçu une piqure de Celestene pour finir le col.
Départ du chrono du col, c est parti pour plus de 3.000 mètres de descente. C est fou le nombre de cailloux et de galets que le cerveau a eu à traiter dans cette journée pour ne pas chuter. Tout cela sur fond de chaine des Annapurnas devant et de face nord du Manaslu derrière. Cette vallée est encore moins fréquentée que l autre versant. Au sortir du village de Bimtang, il faut traverser le fond du glacier et de la rivière, deux kilomètres de chaos… Je suis des traces dans le fond asséché, et j aperçois le pont en contrebas, super ! Arrivé au pont: pont détruit, avec un fort torrent en dessous ! Pour sauter il faudrait s appeler Carl Lewis ou Steve Austin. Pas de solution Mac Giver avec notre corde de 3 mètres…
Seule solution, traverser… Je repère un passage plus propice 200m en bas. L’eau est laiteuse, impossible de savoir jusqu’ où va s enfoncer le pied… A mi-cuisse dans une eau glacée, les pieds sont littéralement anesthésiés pendant 2 minutes à la sortie. Longue descente dans une forêt fleurie sur fond de sommets glaciaires.
Végétation luxuriante, abimes gigantesques, paysages extraordinaires… Une petite sortie de piste dans un verger à cause de chèvres qui ont fait des traces de partout, une dizaine de minutes de perdues… La descente se termine par une longue passerelle de plus de 200 mètres, il ne reste plus qu’à remonter au lodge… Au total 4h de montée au col, et 5h18 de descente, une bonne journée. Thierry mets environ 1h de plus, les Népalais ont remporté l étape en moins de 5 heures…
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J6 18/04/10, Bagharchat – Manang (alt : 3.440m) 40km, +1.800m
Profil montant pour ces 40km, alternant des portions bien roulantes avec des petits sentiers techniques. Je pars doucement pendant la moitié du parcours, 20km faits en plus de 3h15… J ai laissé partir Thierry Chambry et Deepak. La deuxième partie est plus roulante, et je finis fort, je finis sur les talons de Thierry a 3mn en plus de 5h30.
Avec 2 heures d avance sur Thierry, j ai de quoi voir venir. Mais il reste 150km, il ne faut ni se blesser ni tomber malade. A mon avantage, je suis celui qui passe le mieux en altitude avec les Népalais. Demain journée sans chrono au Tilicho Lake, avant la remontée sur 2 jours du Thorong Pass à 5.500m mercredi.
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J7 19/04/10, journée de repos à Manang (alt : 3.440m) 40km
La journée commence par un vrai pain au chocolat dans une des boulangeries de Manang. Ensuite, visite a un lama ermite dans la montagne (500m de dénivelé…), pour une petite bénédiction pour le Thorong Pass. Ca m a couté 100 roupies (1€), le thé était inclus…
Très sympathique, vue imprenable sur les Annapurnas, il a plus de 90 ans et habite là-haut depuis 41 ans.
Ensuite manger (vegetable burger – frites -apple pie), dormir (sieste 2h30 !), manger (frites, apple pie…), la journée de repos aura été mise a profit pour une remise en état avant le second col au delà de 5.000 mètres. Dés ici a 3.400m nous sentons bien l altitude, simplement en montant les 3 escaliers de l hôtel. Et pourtant des gens cultivent et vivent ici toute l année.
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J8 20/04/10, Manang – Thorong Phedi (alt : 4.400m) 20km, +1.200m
Arrivée en haute altitude pour cette course de cote de « seulement »
18km. Deepak n’a pas dit son dernier mot. Autant il est un peu juste sur le long, autant sur le court il est très fort puisqu’ il a battu le record de cette classique de l AMT en 2h13mn. Thierry qui comptait 40mn d avance sur Deepak avant aujourd’hui concède 10mn et s accroche.
Je crois que j ai bien fait de prendre de l avance, et je la gère avec parcimonie. Aujourd’hui je finis à 10mn de Thierry, et derrière Philippe le cantalou, Josep le catalan, Pascal le Drômois, et Mathias le kikoureur… Au delà de 4.000m d altitude, je préfère lever le pied. Et on sent les poumons bruler dés le moindre faux-plat, dés que l on pousse un peu dans le rouge les appuis deviennent moins surs « comme après quelques bières »…
Comme a chaque fois que nous sommes en altitude, le médecin prend notre « taux de saturation », c est à dire le % d oxygène que nous réussissons à utiliser par rapport a la plaine. Ce soir, à 4.400m d altitude, j ai 86%, cela varie de 80% (en dessous il y a problème d Acclimatation) à 88% (les népalais vivant toute l année a cette altitude peuvent atteindre 95%).
Nous allons dormir à 4.400m d altitude, dans un lodge de qualité et relativement bien isolé ce qui va nous éviter le froid des courants d air habituels. Thorong Phedi est le point clef du passage du Thorong Pass, les marcheurs y montent en 2 ou 3 jours, et y restent souvent 2 nuits pour s acclimater, avant « l assaut final ».
Demain nous attaquerons ce qui commence pas un véritable mur jusque High Camp, avant de redescendre jusque Marpha, ce qui se fait généralement en 3-4 jours. Une fois le col à 5.500m passé, nous entreverrons l arrivée…
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J9 21/04/10, Thorong Phedi (alt : 4.400m) – Marpha (alt : 2.650m) 40km, +1.000m, -2.800m
Une bonne cote de 1.000m jusque le Thorong Pass, col « le plus haut du monde » pour commencer, puis une longue descente vers Mukhtinat. Le chrono est déclenché à partir de High Camp (4.800m) au passage de chacun, la montée est par pallier, mais assez rapide, je monte les 650m en 57 minutes. Longue descente assez rapide jusqu’ au monastère de Mukhtinat puis 15km de piste en passant aux portes du Mustang. Le Népalais Jorbir rentre en 4h12, puis nous sommes quatre aux alentours de 4h40mn, le classement de devant reste inchangé. Marpha est un des plus jolis villages du parcours, journée agréable.
Demain 30km de piste en « profil descendant Népalais », comprendre qu’ il y a régulièrement des petites remontées.
Nous passerons par les villages longuement décrits dans « Annapurna 1er 8.000 », dont Tukuche, le camp de base des français pour la conquête du 1er 8.000 en 1950 par Lachenal et Herzog, parrain de l AMT en l honneur de cet anniversaire.
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J10 22/04/10, Marpha – Dana (alt : 1.740m) 30km, -1.100m
Le parcours se profile ennuyeux avec la piste qui se termine entre Beni et Jomsom, où avant il n y avait qu’un chemin de montagne. Mais comment blâmer le progrès pour les locaux qui auparavant étaient a plusieurs jours de marche de tout. Les premiers effets de la nouvelle piste se font sentir quand nous coupons par le lit de la riviere les grands lacets de la piste : encore l an dernier il y avait un chemin tracé par les porteurs, et cette année ce n est plus le cas. La Khali Gandaki au niveau de Tukuche est un large lit de galet de prés de deux kilomètres de large, ce qui laisse imaginer le flux lors de la mousson. Nous cheminons donc au fil des méandres de la riviere, nous mouillant régulièrement les pieds.
Au niveau de Lete, la vue alentours devient grandiose. Derrière nous le Daulaghiri (alt >8.000m), et le Tukeche Peak en rempart glacé. Et devant nous le sommet principal des Annapurnas et son arrête coté nord, par où l expédition française avait gravi pour la première fois un des douze 8.000 que compte notre terre. Je cherche un itinéraire, mais il n y a rien d évident, sur cet Annapurna où les statistiques donnent aux alpinistes une chance sur deux d en revenir… Au bois de Lete, titre d un chapitre de « Annapurna 1er 8.000 », je me remémore ce livre que j avais dévoré l an dernier lors des 3 jours d acclimatation. Le « Daula » derrière nous, sommet initialement prévu par l expédition avant d être trompé par une carte trop approximative, la tentative de contournement par le Tilicho, puis la découverte par un des alpinistes de l expé d un passage vers la face Nord, le col du « 27 avril », jour de sa découverte capitale pour accéder a l Annapurna I en 1950. Ce col se dresse juste devant moi, et j essaie d imaginer l aventure humaine il y a soixante ans dans ce pays reculé que parfois encore nous croyons au Moyen-âge… Le bois de Lete est désormais traversé par une piste, mais les montagnes, leurs arrêtes effilées et leurs glaciers suspendus nous y dominent toujours magistralement.
Dans ces pensées les kilomètres passent, et je rentre tranquillement dans la petite vallée de Dana. J étais bien lâché par le groupe de tête depuis bien longtemps, et les quelques photos prises n ont rien arrangées a mon temps d arrivée, je termine 8 ou 9, a 30 minutes des Népalais et 15 de Thierry. Il me reste ce qu’il faut d assurance-temps avant la grande ligne d arrivée de demain, au sommet de Poon Hill, et de ses 9.000 marches et 2.000m de dénivelé pour y accéder depuis Tatopani. Sous la tonnelle fleurie, les Dal-bat et les Everest (bières locales en bouteilles de 1 litre seulement…) nous redonnent de l énergie, nous imaginons déjà de nouveaux itinéraires pour les futures éditions, dont un aller-retour au camp de base des français, via le col du 27 avril…
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J11 23/04/10, Dana – Poon Hill (alt : 3.250m) 20km, +2.000m Poon Hill, altitude 3.250m, le fameux sommet du trek des balcons des Annapurnas, une vue a 360 degrés sur les 8.000 alentours. Et 9.000 marches pour y monter…
Départ rapide sur les 5km entre Dana et Tatopani, puis 2.000m de dénivelé à gérer.
Je termine 3eme de l étape, à 10mn de Deepak, et derrière Philou Dauriac. Arrivée en haut de la fameuse colline a 3.200m d altitude, pour un pic-nic en accueillant tous les coureurs et marcheurs.
Je sors victorieux de cette grande aventure (je suis le premier français à gagner au Népal, le deuxième non Népalais après Christophe Jaquerod le Suisse), et cela me fait plaisir après avoir mis si longtemps à venir découvrir ce Népal et ses sommets légendaires pour tous les amoureux de la montagne.
Sur cette course je n ai jamais vraiment ressenti de lassitude, bercé par la variété des terrains, les sensations d altitudes à gérer, et les impressionnants panoramas des montagnes des Dieux. Le dossard était là pour nous aider à nous surpasser quand seuls nous n aurions jamais accompli cela. J ai acquis ma victoire dans des qualités supérieures en gestion des longues étapes face aux Népalais, et face a Thierry par mon expérience de l AMT l an dernier et des courses a étapes en général. Ensuite de la gestion, et un peu de rêve permanent pour accomplir ces 380km avec mon sac a dos.
Le Trail est un espace de compétition sportive que j apprécie et auquel je me mesure régulièrement. Mais le Trail est pour moi également un moyen de locomotion, autre chose qu’une compétition, un prétexte et un moyen de découvrir le monde autrement, de l Oisans, en passant par la Réunion et les déserts africains, jusqu’ ici aux confins du Népal pour cet Annapurna Mandala Trail 2010.
Merci Bruno (Poirier) de nous faire partager ta passion du Népal et du Trail.
Namasté.