30 juillet 2010, Davos, veille du Swiss Alpine Marathon
Demain, au Swiss Alpine Marathon de Davos, je porterais le maillot de l’Equipe de France de Trail.
Pour la première fois (et certainement pour la dernière fois aussi !).
Je suis avant tout, très heureux, parce que cela est une sorte de reconnaissance de 30 ans d’athlétisme et de course à pied, une récompense qu’il a fallu aller chercher l’an dernier avec une grosse saison sur le Trail Tour National. Jeune, je n’avais jamais réussi ne serait-ce qu’à le qualifier à un Championnat de France. Une fois et une seule nous y avions réussi en cadet, en relais, pour le 4×1.000m, aux Chnats de France à Cannes, en 1989.
J’ai toujours été un sportif amateur, je n’ai jamais été un sportif de haut-niveau, et je ne me le considère toujours pas. Aujourd’hui j’espère représenter cette masse de sportifs passionnés de tout âge qui pratiquent ce sport en amateurs, et les écussons Team Raidlight et Kikourou sur ma casquette représentent cela.
Même si je suis heureux et fier, j’ai une petite gêne. Une petite gêne de ne pas être au meilleur niveau le jour de cette sélection, parce que cette année j’ai trop d’autres préoccupations que l’entraînement. Je n’ai pas mauvaise conscience non, plus, parce que c’est ce même système de sélection qui ne m’a pas permis l’an dernier, au dernier moment, de participer aux Championnats du Monde avec l’Equipe de France de Trail. Ce n’est pas de la mauvaise conscience, ce serait plus de l’amertume de ne pas y avoir été l’an dernier au meilleur de ma forme. Mais c’est ainsi, je prends déjà ce que j’ai, et c’est déjà bien.
Nous sommes arrivés ce matin. Le Swiss Alpine Marathon est un ensemble de course de 21km à 78km, qui rassemble environ 5.000 coureurs au fin fond de la Suisse, vers le Liechtenstein et l’Autriche. Le niveau a l’air particulièrement relevé, avec beaucoup de nations représentées. La course phare est le 78km. Vu ma forme assez moyenne, j’ai préféré me rabattre sur le 42km, qui comporte 1.850m de D+. Thierry Breuil et Maud Giraud sont aussi sur le 42km, Thomas Lorblanchet, Gilles Guichard, Franck Mantel, Cathy Dubois, Laurence Klein et Aurélia Truel sont sur le 78km. Ce n’est pas un championnat, c’est simplement une sélection en « course amicale » pour cette équipe de France de Trail 2010.
La forme est moyenne (j’ai fait une séance de fractionné cette semaine (il n’est jamais trop tard !), la dernière datait d’il y a un mois…), et sur les trois dernières semaines j’ai fait 2 semaines blanches en ne courant que le dimanche…, mais je ne compte pas randonner demain. Si j’ai opté pour le 42km plutôt que le 78km, c’est pour faire de mon mieux, sur une épreuve où le manque d’entraînement pourra à mon avis un peu plus être compensé par la motivation. Même mal entraîné, je me fais un devoir de courir au maximum de mes capacités de demain, eut égard à cette sélection. Je ne me fais pas d’illusion sur mon niveau par rapport à Thierry, mais je ferais tout pour ne pas être « ridicule » avec ce maillot.
Pour l’instant le maillot est là plié avec le dossard épinglé, posé avec le short, les chaussures et le porte-bidon.
30 juillet 2010, Davos, Swiss Alpine Marathon 42km
Après une bonne nuit que j’aurais bien prolongée, j’enfile LE maillot et le short sous le survêt. Départ du 78km, ralliement du départ à Bergun par un petit train de montagne. Je suis serein, et ne ressens aucune pression. Nous regardons passer les collègues du 78km qui ont déjà 36km dans les jambes. Puis le départ approche, la préparation s’enchaine doucement, lacets à serrer, recompter les gels, se secouer un peu… Il y a beaucoup de ravitos sur le parcours, tous les 3km à 5km, et je décide au dernier moment de ne pas prendre de porte-bidon, et je fixe la pochette du porte-bidon sur le short avec 3 épingles. Je ne serais pas déçu de ce choix.
Il fait grand beau, je décide de courir juste avec le débardeur, sans maillot en dessous, pour ne pas gâcher le visuel du maillot… Je me rappelle comment étaient millimétrés nos échauffements pour les cross quand nous étions gamins. Je me rappelle aussi de cette tension avant notre relais 4×1.000m, nous avions failli nous battre avant la course avec l’équipe de l’ACBB pour une histoire de bâtons de relais… Aujourd’hui tout est calme, je suis serein et calme, ce doit être l’expérience.
Je me sens quand même un peu gêné de m’échauffer avec ce maillot barré du mot « France ». Petit footing avec Thierry, j’ai encore un peu les jambes lourdes de ma séance de fractionné de mardi. Mais je sais au fond de moi que je vais faire le job. Je sais que je n’ai jamais raté la marche pour une course par équipe, que ce soit en relais, en cross, ou en CO. Toujours pas la moindre pression sur la ligne de départ.
Cela part fort, comme pour un 20 bornes, … mais il y en a 42.2… Je décide d’être prudent, et je laisse partir un groupe d’une dizaine de gars. 20’00 au 5ème km presque tout en faux plat montant, je vois que c’est déjà, un bon rythme. Le faux plat se prolonge jusqu’au 10ème km, avant d’attaquer la montée vers le refuge de Kechhutte. Je bataille avec un gars que je surnomme l’anglais parce qu’il est blanc, mince, qu’il grimpe trop vite, et qu’il m’énerve un peu (je dis ça avec respect pour les anglais, pour m’y être fait les dents si souvent au Défi de l’Oisans, eux qui n’ont pas de montagnes et qui ne lâchent jamais rien…)… Mais je reste au contact, et ça me fait plaisir de le voir se retourner et coincer un peu plus loin… Je réfléchis et je m’encourage en allemand, comme ils parlent ici. C’est pas de la littérature, mais ça passe le temps. Je monte régulier, sans me mettre dans le rouge. C’est compliqué de voir les places, parce que nous doublons tous ceux du parcours du 78km partis à 6h00 du matin. Il faut faire un peu les bordures, mais finalement ça motive d’avoir ces points visuels à rattraper. Ca y est, l’anglais est lâché au détour d’un replat, ça lui apprendra à faire les bordures…
Altitude 2.600m, refuge de Kechhutte, nous avons fait 16km, on me dit 8ème, enfin on me dit « acht ». J’ai du en doubler deux trois du groupe de tête sans m’en apercevoir… S’enchainent 5km de descente plutôt roulante que technique, pour arriver au semi, au pied du 2ème col. Je descends à bonne allure sans me casser les jambes. Le parcours du 78 et du 42 se séparent pendant quelques kilomètres, et je vois que devant c’est pas si loin, que je reviens dessus, et au pied du col j’en ai rattrapé trois dont « Dirk le 31 » (les prénoms sont sur le dossard), un des allemands favoris. J’aime bien ce caractère international, avec ce maillot « France » ça me pousse à relancer. Quand même, si aujourd’hui je ne relance pas en doublant l’allemand… Le second col est en grands lacets, presque tout courable, j’enchaine bien, et je fais un petit trou. Au col, restent 18km de descente, 6 de montagne, 12 de faux-plat. J’assure la descente raide, et pourtant je sens les mollets se crisper en bas, les crampes ne sont pas loin. Je sais que sur le plat la foulée va se modifier et que ça va surement passer, comme au Nivolet-Revard l’an dernier. Si je devais marcher 12km ce serait la cata… Mais non, je sens que ça passe, et que ça relance pas mal. Je crois toujours rattraper des gars du 42km, mais ce sont des gars du 78km… Mince, revoila « Dirk le 31 » qui m’avale tout cru de l’arrière, il va au moins 20 secondes au kilo plus vite que moi, la motivation ne suffit pas ! Restent 7km, je les compte avec le GPS. Deux autres gars reviennent encore de derrière, et on en mange un. Mais je vois que je manque de rythme. Je m’accroche à vue. Restent 6, dans un plus que 5, dans 3 il restera 3 bornes, dans 4 le quarantième… Je ne lâche pas.
Au panneau 3km de l’arrivée, nous sommes quatre assez regroupés. Je me rappelle mes jeunes années, je sens la foulée se libérer, et je sens les jambes relancer. Je déboite le premier, et j’y vais franchement (histoire qu’il n’ait pas envie de s’accrocher…). Dernière bosse imprévue, je vois Dirk en haut…Une borne de single dans les bois, je le chasse comme un gamin, il faut revenir sans qu’il me voie sinon il va relancer. Vu comme il traçait tout à l’heure, je me dis qu’il ne va de toute façon pas être facile à jouer dans le dernier kilo. Mais au moment de le rattraper, pile au 40ème, il se met à marcher, complètement HS ! Chance…
Je trace tout ce que je peux jusqu’à l’arrivée (en 4’01mn /km me dira le GPS). Voila le tartan de la piste d’athlé de Davos pour un demi tour de piste avant l’arrivée. Je me mets à bloc, comme à sprinter avec le gamin de l’athlé que j’étais il y a 30 ans.
4ème. Je m’en suis bien sorti.
C’est pas la course du siècle, mais c’était quand même très relevé : sur le 78km, Thomas est battu par un suédois double vainqueur à Davos, et vice-champion du monde en titre sur 100km (6h42mn…). Sur le 42km, le premier est un anglais qui a fait 2h18mn30s au marathon, le troisième « seulement » 2h23m,… Sur le 42.2, Thierry a fait 2ème, et moi 4ème. Thierry 18mn devant moi, c’est pas si mal sur un parcours aussi roulant tout à son avantage. Le 3ème est à 13mn devant moi, rien à regretter.
A l’arrivée je suis satisfait et libéré. Sans cette course fin juillet, j’aurais surement déjà arrêté ma saison, mais je ne pouvais maquer cette unique occasion. Et je ne voulais surtout pas être ridicule, je suis libéré de ne pas l’avoir été, et au final d’être presque à mon niveau au classement. J’ai fait ma course, je me suis fait plaisir sur cette belle montagne. Je suis satisfait de ma course en bleu-blanc-rouge, avec ce maillot que j’ai me semble-t-il assez bien porté.